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Déchets

En Allemagne, la consigne des bouteilles en plastique n’est pas la solution miracle

Le ministère de la Transition écologique souhaite mettre en place un système de consigne des bouteilles en plastique pour améliorer leur recyclage. Le gouvernement s’inspire du modèle allemand de « Pfand », pourtant critiqué outre-Rhin.

  • Berlin (Allemagne), correspondance

C’est un geste devenu banal pour les Allemands : rapporter ses bouteilles et canettes vides au supermarché. Depuis quinze ans, le système de Pfand« consigne », en français — oblige les magasins à mettre à disposition de leurs clients une machine dédiée, baptisée Pfandautomat. Les consommateurs ne sont pas contraints mais fortement incités à participer : pour chaque contenant rendu, ils se voient rembourser la caution de 8 à 25 centimes payée lors de l’achat. La consigne allemande concerne à la fois les bouteilles réutilisables, en verre ou plastique spécial, et les bouteilles et canettes à usage unique, en aluminium ou en plastique.

Très décrié à son lancement, le Pfand sur les boissons est entré dans les mœurs, à tel point que le taux de collecte atteint 98,5 % aujourd’hui, selon le cabinet d’études PricewaterhouseCoopers, bien mieux qu’en France. Fini, les canettes de soda abandonnées sur le bord de la route, les bouteilles d’eau qui traînent dans le caniveau. Devenues des déchets de valeur, elles sont rapidement réintroduites dans le système de recyclage par les clients eux-mêmes ou les Pfandsammler, les chasseurs de consignes qui arrondissent ainsi leurs fins de mois. Leur taux de recyclage avoisine les 99 %, contre seulement 56 % en France pour les bouteilles en plastique et 43 % pour les canettes, selon Éco-emballages. « Le système de consigne est beaucoup plus efficace que le tri parce que les contenants restent propres et intacts et qu’il n’y a pratiquement pas de pertes », explique à Reporterre Thomas Fischer, expert de l’organisation environnementale Deutsche Umwelthilfe (DUH).

Les contenants jetables à usage unique sont en pleine expansion 

Vantée par le ministère français de la Transition écologique, la consigne à l’allemande serait-elle la solution miracle du recyclage ? Pas si sûr. Si les consommateurs d’outre-Rhin croient bien faire en se rendant au Pfandautomat, le système allemand n’est pas la panacée. Certes, les contenants les plus vertueux, en verre ou plastique réutilisable, sont effectivement lavés et remplis à nouveau, pour une assez faible empreinte carbone. Mais les contenants jetables, à usage unique, sont en pleine expansion et nécessitent un processus de recyclage très gourmand en ressources.

Recycler ne veut pas forcément dire bien recycler. Seul un quart des bouteilles en plastique PET servent à fabriquer de nouvelles bouteilles ; le reste est réduit en granulats et revendu pour fabriquer du polyester, notamment en Asie. « La consigne sur les bouteilles à usage unique n’est pas un circuit fermé. Dans la majorité des cas, quand on rend une bouteille en plastique ou une canette en aluminium à la machine, on ne sait pas où le matériau, même recyclé, atterrira en bout de chaîne… très probablement dans les océans », explique la chaîne de télévision publique ZDF dans un documentaire.

Indication de la consigne de la bouteille.

L’objectif de la loi de 2003, portée par le ministre vert de l’Environnement Jürgen Trittin, était de réduire cette part de contenants à usage unique à 20 % du marché. « La consigne va endiguer le flot de bouteilles à usage unique », promettait-il alors. Paradoxalement, c’est l’inverse qui s’est produit. Ces bouteilles connaissent un essor croissant : représentant moins de 40 % du marché des boissons en 2003, elles sont désormais les plus nombreuses, à 71 %. Dans le même temps, le taux de bouteilles réutilisables a fondu, passant de 58 % à seulement 24 % de parts de marché.

Comment expliquer ce paradoxe ? Par les failles de la loi de 2003. D’abord, les entreprises de boissons ne sont pas contraintes de commercialiser des bouteilles réutilisables. Beaucoup se contentent donc d’un conditionnement jetable, car il leur demande moins de logistique et coûte moins cher. Depuis 2015, la firme Coca Cola a par exemple cessé d’utiliser du plastique réutilisable pour ses bouteilles de 0,5 L et 1,5 L. De même, les chaînes de supermarchés discount Aldi et Lidl ne laissent plus le choix à leurs clients : elles ont banni les bouteilles réutilisables pour faire de la place dans leurs entrepôts.

Autre faille, les magasins sont uniquement obligés de reprendre les bouteilles à usage unique, quelles qu’elles soient, mais pas les réutilisables. Pour le consommateur, acheter une bouteille jetable s’avère donc plus simple car elle peut être rendue dans n’importe quel magasin, contrairement aux réutilisables.

L’UE empêche l’interdiction pure et simple des bouteilles à usage unique

En clair, la consigne à l’allemande a significativement amélioré la collecte, mais n’est pas parvenue à endiguer la croissance des contenants jetables à l’empreinte carbone désastreuse. Résultat : les Allemands ont consommé pas moins de 17 milliards de bouteilles à usage unique en 2015. Soit 1,25 million de tonnes d’émissions de CO2, 500.000 tonnes de plastique, 665.000 tonnes de pétrole brut et onze milliards de kilowatts.

Une pétition en ligne qui rassemble déjà plus de 120.000 signatures réclame l’interdiction pure et simple des bouteilles à usage unique. Impossible, répond le gouvernement allemand : « Au regard du marché commun européen, cela constituerait une discrimination à l’encontre des producteurs de boissons », explique le porte-parole du ministère fédéral de l’Environnement, Stephan Gabriel Haufe. Faut-il alors mettre en place un système harmonisé à l’échelle européenne ? La solution a été envisagée il y a quelques années par la Commission européenne. Mais on a conclu qu’il serait rop difficile de s’entendre sur un étiquetage, trop coûteux, surtout pour les pays qui seraient contraints de remplacer leur propre système de consigne : l’idée a été abandonnée. Bruxelles entend maintenant bannir de l’Union européenne le plastique non recyclable d’ici à 2030, mais ne précise pas comment.

Ticket de consigne.

Thomas Fischer, de la DUH, se réjouit que la France veuille mettre en place la consigne, « mais cela ne règlera pas tous les problèmes, explique-t-il. Pour éviter la ruée sur le jetable, il faut ancrer dans la loi un objectif chiffré de contenants réutilisables, avec des sanctions et/ou des incitations pour les entreprises, par exemple une taxe de 25 centimes sur chaque bouteille jetable, en plus de la consigne ».

Conscient du problème, le législateur allemand a pour l’instant choisi d’améliorer l’information au consommateur : en 2019, un nouvel étiquetage doit permettre de mieux mettre en valeur les contenants réutilisables dans les rayons des supermarchés.

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