Santé

Covid-19 : «Bamlanivimab», un traitement qui enthousiasme Véran mais divise les experts

L’Agence nationale de sécurité du médicament a délivré une autorisation temporaire d’utilisation pour cet anticorps monoclonal utilisé en monothérapie. Présenté par le gouvernement comme un «espoir nouveau», il laisse plusieurs scientifiques et médecins dubitatifs, en l’absence d’études abouties sur leur efficacité.
par Anaïs Moran
publié le 2 mars 2021 à 19h44

Une annonce politique en grande pompe, suivie d’une réaction médicale mitigée. Présentés par le gouvernement comme des «espoirs nouveaux» dans cette crise sanitaire qui empire et s’éternise, les traitements à base d’anticorps monoclonaux pour lutter contre le Covid-19 ont officiellement fait leur entrée en France, comme annoncé jeudi dernier en conférence de presse par le ministre de la Santé, Olivier Véran. L’Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament (ANSM) a délivré le 12 février une autorisation temporaire d’utilisation dite «de cohorte» pour l’un d’entre eux, le bamlanivimab par monothérapie (sans association avec une autre molécule), développé par le groupe de laboratoires américain Eli Lilly. «A titre exceptionnel», cet anticorps monoclonal très coûteux peut désormais être administré aux patients ayant un déficit de l’immunité ou âgés de plus de 80 ans, «au tout début de leur maladie, afin de limiter le risque d’évolution vers une forme grave», écrit l’ANSM dans son protocole d’utilisation. Pour être éligibles à ce traitement, les malades doivent être «non hospitalisés» et pouvoir le recevoir «dans un délai maximal de cinq jours après le début des symptômes», a précisé la Direction générale de la santé, dans un premier message «urgent» envoyé le 24 février aux professionnels de santé. Seuls les centres hospitaliers sont actuellement habilités à le délivrer. «Quelque 83» d’entre eux «ont déjà reçu des milliers de doses de ce traitement», a indiqué Olivier Véran jeudi. Dans le message de la DGS, il est question «d’une première livraison de 4 500 doses, réparties dans 60 établissements de santé».

Le principe du bamlanivimab, qui doit être administré par perfusion durant soixante minutes, est de fonctionner comme un neutralisant : en imitant l’action des anticorps naturels que notre corps fabriquerait en cas d’infection, ses molécules vont se fixer sur la protéine S (la couronne à la surface du Sars-CoV-2) et pouvoir ainsi empêcher la pénétration du virus dans les cellules. Problème : les données cliniques actuellement disponibles sont très préliminaires et ne dépassent pas les résultats d’essai de phase 2. Surtout, elles ne sont pas encore probantes quant à la véritable efficacité du bamlanivimab chez les patients infectés. Une étude randomisée en double-aveugle (1), baptisée «BLAZE-1» et menée chez 577 patients ayant une forme légère à modérée de Covid-19, a comparé l’effet avec trois dosages différents de bamlanivimab (700 mg comme autorisé par l’ANSM, mais aussi 2 800 mg et 7 000 mg) sur la décroissance virale. Publiés le 21 janvier dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), les résultats définitifs de cet essai en phase 2 indiquent qu’il n’y a «aucune différence significative dans le changement de la charge virale avec les trois doses différentes de monothérapie de bamlanivimab comparées au placebo».

«Traitement dont le bénéfice n’est pas connu»

Dans un communiqué publié lundi, la Société française de pharmacologie et de thérapeutique s’alarme du choix de la France d’utiliser «un traitement dont le bénéfice n’est pas connu». Le professeur Mathieu Molimard, membre de cette société savante, ne décolère pas : «Ce qui m’embête beaucoup, c’est qu’on a l’impression d’assister à la mort de l’évaluation clinique. Le politique demande ce traitement, donc go, on y va, sans qu’aucune démonstration clinique ne le justifie et sans attendre les résultats de phase 3. Je comprends l’urgence, mais ce n’est scientifiquement pas sérieux.» Tous et toutes ne s’alignent pas sur cette position. Brigitte Autran, experte en immunologie et responsable du groupe anticorps monoclonaux à la nouvelle Agence des maladies infectieuses émergentes (ARNS), reconnaît que le bamlanivimab «n’a pas fait la preuve totale de son efficacité» mais rappelle que l’autorisation temporaire d’utilisation «reste un cadre très strict» et ne doit pas être confondue avec une autorisation de mise sur le marché. «C’est comme une sorte de prolongement de l’essai clinique, explique-t-elle. On peut se le permettre car on sait que les anticorps monoclonaux sont bien tolérés. Il n’y a pas d’effets secondaires. Le pire qu’il puisse arriver, c’est que ça ne marche pas. Pour des patients vulnérables, à qui on ne proposait rien jusqu’alors pour leur éviter une forme grave, le rapport bénéfice /risque est en faveur du bamlanivimab.» L’efficacité du traitement n’étant pas du tout démontrée contre les variants de type sud-africains et brésiliens, son utilisation géographique est quoi qu’il en soit déjà limitée.

Président de la Société de pathologie infectieuse de langue française, Pierre Tattevin, qualifie de son côté l’autorisation temporaire de l’ANSM de «prématurée» et «surprenante». Selon lui, ce feu vert va surtout permettre «d’anticiper la logistique» pour l’arrivée des anticorps monoclonaux en bithérapie (deux molécules associées). Car d’ici quelques semaines, le cocktail de Regeneron (casirivimab et imdevimab), proposé à Donald Trump en automne dernier, déjà commandé par l’Allemagne (qui a aussi acheté du bamlanivimab) et officiellement autorisé par l’Agence Européenne du médicament depuis vendredi, ne devrait pas non plus tarder à débarquer dans les hôpitaux français. Tout comme la bithérapie d’Eli Lilly, soit le combo du bamlanivimab avec l’etesevimab, qui a montré des résultats prometteurs lors de la phase 2 de «BLAZE-1». Dans l’article du JAMA, les chercheurs parlent d’une «réduction de la charge virale au jour 11», ainsi que d’une «proportion significative et numériquement inférieure de patients nécessitant une hospitalisation ou un passage aux urgences». Dès que cette combinaison sera accessible en France, elle «remplacera tout de suite le bamlanivimab par monothérapie», précise Brigitte Autran.

En attendant, Mathieu Molimard s’inquiète du potentiel risque de résistance du virus face au traitement par une seule molécule. «Avec un seul anticorps monoclonal, logiquement moins efficace que s’ils étaient deux, il peut y avoir un processus de sélection, expose-t-il. Des virus vont être tués par le traitement, mais d’autres vont tenir le coup. Cela peut créer des variants plus forts, de type sud-africain. Je ne comprends pas pourquoi on s’est lancés là-dedans.» Sur ce point, la Direction générale de la santé s’est vue obligée d’envoyer le 27 février un second message «urgent», en guise d’erratum, pour souligner que l’utilisation de bamlanivimab «peut favoriser la sélection des mutations de résistance» et «nécessite d’être pesée au cas par cas dans l’attente de l’accessibilité d’association d’anticorps monoclonaux». Et de demander «l’hospitalisation du patient, en fonction de la durée de l’excrétion, pour assurer la mise en œuvre de ces modalités de suivi». Une impasse, pour l’infectiologue Pierre Tattevin : «On ne va pas hospitaliser des malades pour leur administrer un traitement dont le seul intérêt plausible est d’éviter une hospitalisation. Quand on y pense, avec nos services surmenés et quasi déjà pleins, ce n’est pas raisonnable», analyse-t-il. Et de conclure : «Entre une efficacité qui n’a pas été formellement démontrée sur des critères robustes, et les contraintes d’une administration uniquement hospitalière chez des patients sans critère d’hospitalisation Il vaut mieux attendre d’en savoir plus avant de recommander ces traitements.»

(1) L’attribution des patients dans les différents groupes se fait par tirage au sort. Ni le médecin ni le patient ne savent si le produit administré est le bamlanivimab ou le placebo.

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