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Du Sénégal à l’Ethiopie, des pluies diluviennes ravagent la bande sahélienne

Cette année, la saison de la mousson est d’une rare violence. Les morts et les disparus se comptent par centaines, les déplacés par centaines de milliers.

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Publié le 18 septembre 2020 à 19h00, modifié le 19 septembre 2020 à 05h52

Temps de Lecture 5 min.

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En une journée, le Sénégal a enregistré plus de pluies que durant une saison habituelle. Ici à Keur Massar, dans la banlieue de Dakar, le 8 septembre.

Des habitants sur des radeaux de fortune, d’autres qui sauvent à bout de bras quelques affaires ou regardent impuissant les véhicules flotter dans les torrents de boue. Dakar, Abidjan, Nouakchott, Ouagadougou, Accra, Cotonou, Niamey, Douala, Khartoum ont les pieds dans l’eau. Depuis la fin juin, les images de destruction se succèdent au rythme des pluies diluviennes qui ont frappé douze pays d’Afrique de la bande sahélienne. Du Sénégal à l’Ethiopie, la saison de la mousson est, cette année, d’une rare violence. Les morts et les disparus se comptent par centaines.

Du nord du Nigeria aux environs d’Agadez au Niger, des frontières du Cameroun à celles du Tchad, de vastes zones déjà fragilisées par l’insécurité et les attaques des groupes armés ont été inondées par la crue d’affluents du Niger et le débordement du bassin du lac Tchad. Plus de 360 000 personnes ont dû quitter leur foyer, dont 12 000 pour la seule semaine du 8 au 16 août, selon le décompte de l’Organisation internationale des migrations (OIM). Plus à l’est, dans le nord de l’Ethiopie, des dizaines de milliers d’habitations ont également été détruites, des villages, dissous par les eaux.

Au Soudan, où pas moins de 650 000 personnes sont affectées par cette catastrophe d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA), les autorités ont décrété l’état d’urgence pour trois mois. Le ministère de l’eau et de l’irrigation a annoncé qu’avec un niveau à 17,57 m, le Nil avait atteint un record absolu depuis plus de cent ans et les premiers relevés du fleuve.

Du côté de Niamey aussi, le « niveau du fleuve Niger est à son plus haut historique depuis le début des relevés en 1929 », explique Sylvie Galle, responsable de l’Observatoire Amma-Catch qui documente l’impact du changement climatique sur le cycle de l’eau en Afrique de l’Ouest. Le pays compte déjà plus de 65 morts et 320 000 sinistrés.

Des voitures ont dérivé, suite aux pluies torrentielles et la crue du fleuve Niger, à Niamey, le 9 septembre.

Des pluies plus courtes et violentes

Même si on ne dispose pas pour le moment de données précises – les serveurs de certains centres d’observation sont noyés –, l’ampleur exceptionnelle de la mousson sahélienne cette année pose déjà question. Assiste-t-on à une accélération du réchauffement climatique ? Difficile à dire. Les scientifiques ont largement documenté le dérèglement des phénomènes de mousson. Après les deux décennies de sécheresse des années 1970-1980, la pluviométrie avait repris de la vigueur sur toute la bande sahélienne. Mais, depuis le mitan des années 1990, les périodes sèches sont devenues plus arides et la mousson se traduit désormais par des pluies plus courtes et violentes – de quelques heures à quelques jours – entrecoupées de retours à un temps sec.

Tous les experts interrogés appellent à la prudence : le régime sahélien, bien que profondément perturbé, est par nature sujet à une grande variabilité. Cependant, « le cumul des précipitations de cette année sera supérieur à la moyenne des précédentes et elles témoignent de ce dérèglement climatique », estime Thierry Lebel, hydroclimatologue de l’Institut de recherche pour le développement (IRD).

La ville de Keur Massar est encore sous les eaux, trois jours après les pluies diluviennes qui se sont déversées sur Dakar, le 8 septembre.

Sylvie Galle, chercheuse et responsable l’Observatoire Amma-Catch, rappelle que « le régime sahélien continue de se modifier depuis dix ans avec des crues plus précoces et des pluies de plus en plus intenses. S’il faut rester prudent, une année comme celle-ci tend à démontrer qu’on est dans le pire scénario des modélisations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat [GIEC] ».

Artificialisation des sols, abandon des jachères

Au-delà du caractère exceptionnel de l’année 2020, les acteurs de terrain s’inquiètent de l’inadaptation du continent à ces bouleversements. Car qui dit pluie ne dit pas forcément inondation. « Le risque d’inondation est à la fois le produit d’un aléa et d’un niveau de vulnérabilité, souligne Wafa Essahli, ancienne directrice des programmes de l’Observatoire du Sahara et du Sahel (OSS), et aujourd’hui consultante indépendante. Quand la Suisse connaît des épisodes de pluie sévères, les habitants ne se retrouvent pas avec de l’eau dans leur salon. ».

Les inondations monstres qui touchent la bande sahélienne révèlent surtout la vulnérabilité et la très faible résilience des Etats du continent. « La bonne pluie est une pluie utile, analyse Thierry Lebel. Or le résultat de ce dérèglement est que les sols, trop secs, ne peuvent plus accueillir ces eaux : le ruissellement emporte tout, habitations, cultures. »

La digue qui protège Niamey des crues du fleuve Niger a rompu, le 6 septembre.

Mais le climat n’est pas seul responsable. Le changement d’usage et l’artificialisation des sols, l’abandon des jachères, l’exil de populations vers les villes, les constructions anarchiques, un urbanisme inadapté, le défaut d’entretien d’infrastructures vieillissantes ou sous-dimensionnées démultiplient les effets des phénomènes météorologiques.

« Le réchauffement est bien là, mais les principales causes des inondations sont dues à l’inadaptation des politiques mises en œuvre, quand elles le sont », résume Wafa Essahli, qui regrette que la communication ne porte pas suffisamment sur ce qu’il est possible de faire, nourrissant un sentiment d’impuissance, voire de fatalité face aux événements climatiques.

Vers une crise alimentaire majeure

« Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’expertise scientifique a du mal à irriguer la décision politique et même les bureaux d’études et d’ingénierie qui construisent les villes africaines, témoigne encore Thierry Lebel. Il n’y a pas forcément de mauvaise volonté, mais l’urgence domine et les marchés publics sont très concurrentiels. Il faut faire progresser l’intégration des savoirs et faire évoluer les normes, notamment hydrologiques, qui sont en retard par rapport aux modélisations scientifiques les plus optimistes. »

A l’arrivée, les conséquences sont dévastatrices. La moitié de la population de Niamey a fui la ville, 34 000 maisons et cases ont été rasées, près de 6 000 hectares de cultures sont immergés, 448 greniers à céréales et 713 puits d’eau potable ont été détruits et au moins la moitié des récoltes de riz sera perdue, selon le dernier bilan du ministère nigérien de l’action humanitaire et de la gestion des catastrophes.

Sur l’île de Tuti, où le Nil Bleu et le Nil Blanc se rejoignent, entre les villes de la capitale Khartoum et d’Omdourman (Soudan), le 3 septembre.

Et la situation menace encore de s’aggraver puisque la saison des pluies court jusqu’à fin septembre, voire au-delà en cas d’année exceptionnelle. Pour les derniers pays de l’arc sahélien, l’est de l’Ethiopie, l’Erythrée, Djibouti et la Somalie, qui relèvent du régime de l’océan Indien, la mousson s’étend d’octobre à novembre.

Plusieurs pays ont d’ores et déjà appelé à l’aide les grandes agences onusiennes pour faire face à la crise alimentaire majeure qui s’annonce alors que celle du Covid-19 a précipité le continent dans une grave crise économique. Et, tandis que la saison du paludisme bat son plein, le spectre du choléra ressurgit avec les décrues.

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